La forêt humaine de Fernand Lattion

A 73 ans, Fernand Lattion ( deux tt et non pas th, attention !) a entré dans son ordinateur plus de 61’000 personnes du district d’Entremont, principalement de Liddes d’où il est originaire, mais aussi de Bovernier, de Fully et même du Val d’Illiez, vallée où se sont exportées quelques branches de son propre arbre familial. Enbrigadé dans cette passion qu’avait déjà sa maman, le retraité passe toujours plusieurs heures par jour à l’affût de nouveaux noms à accrocher à ses multiples branches. 

Avenant, drôle et souriant, Fernand Lattion est surtout « super », comme le résume concisement mais parfaitement sa femme Michelle. Cet adjectif familier supplante toutes les descriptions fastidieuses : Fernand est un chic type, si vous préférez. A des kilomètres d’être traité de pénible, il ronchonne peu, rechigne jamais à la tâche qu’il abat plusieurs heures par jour et fait peu de bruit, mis à part quand il chante : «  Heureusement que les voisins le connaissent bien et qu’ils l’apprécient ! sinon ils auraient de la peine à supporter ! » sourit sa femme, qui a l’habitude de l’entendre s’époumoner : une activité qui lui a toujours plu et qui lui a d’ailleurs valu le surnom de «  le noir ». Non pas la couleur politique ni même le nom de famille français, mais bien le titre du tube de Johnny  « noir c’est noir » qu’il chantait à tue-tête « lorsqu’il était plus jeune » : « Certains ne savent même pas que je m’appelle Fernand Lattion. » Lattion, de la noble lignée des deux tt de Liddes évincé par un surnom, vous rendez-vous compte ?

61 329 noms informatisés 

Occupé, Fernand l’a toujours été et l’est resté même à la retraite. De l’époque où il travaillait encore, il a gardé sa maîtrise du bois :  en tant qu’ancien menuisier, il a aménagé son atelier au sous-sol de la maison familiale à Fontaine-Dessus : « Nous avons suivi les origines de madame » précise-t-il avec un clin d’œil, comme pour s’excuser d’avoir abandonné Liddes. Entouré de ses outils, il s’y enferme plusieurs heures par jour pour s’adonner à la sculpture tout en fredonnant : « Quand je l’entends chanter, je sais qu’il y est. » Mais auparavant, Fernand aura déjà allumé son ordinateur, ouvert le logiciel Heredis qui lui a facilité la vie au passage de la numérisation de ses écrits, inséré les nouveaux noms du jour (dénichés sur le Nouvelliste principalement, les registres paroissiaux et les archives ayant déjà été épluchées ), collecté les dates minutieusement : « J’en ai 61329. J’ai commencé vers l’âge de 40 ans. » Car si la passion l’a pris très fortement, elle ne s’est toutefois pas manifestée d’emblée…

De générations en générations 

« Ma maman savait tout par cœur. Lorsqu’elle entendait un nom, elle savait tout dire : la date de naissance, le jour de la semaine, la météo, les événements du moment, de même pour les parents, les grands-parents. » Erigé en véritable sport national au sein de la  famille Lattion, la généalogie fait parfois perdre un peu son souffle au jeune Fernand : « C’était sans arrêt. Je m’emmêlais les pinceaux, je ne savais plus qui était qui… avec qui nous avions ou non de la parenté… parfois, cela me bassinait un peu… », avoue Fernand dont le déclic se déclenchera lors d’un concours de circonstances : « Ma maman étant tombée malade, nous nous sommes amusés ensemble à créer un arbre à partir d’une personne de la famille. » La passion ayant ainsi planté sa graine, celle-ci germera gentiment et prendra son véritable essor après le décès de la matriarche : « De son vivant, je ronchonnais. Après son décès, il y a bien des fois où j’aurais bien aimé pouvoir puiser dans son encyclopédie mentale ! Elle m’aurait bien aidé ! » sourit Fernand, qui aujourd’hui peut compter sur sa fille pour reprendre le flambeau. « Elle m’aide à insérer les noms et à gérer le logiciel. » Les Lattion, Darbellay et autres patronymes autochtones n’ont pas fini de venir garnir les branches des multiples arbres qui forment la forêt humaine de Fernand.

Romy Moret  

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