Depuis trois saisons, Délia et Jérôme tiennent les rênes de l’hôtel-restaurant de Mauvoisin, unique établissement ouvert 7 jours sur 7 dans cette haute vallée du Val de Bagnes, blotti juste en contrebas du barrage. L’été, ils accueillent randonneurs, habitués et familles locales dans ce bâtiment chargé d’histoire. L’hiver, ils prennent de l’altitude, direction Verbier, où leur food truck installé à la patinoire est devenu un repère bistronomique apprécié, coupes de champagne à la main.
Entre ces deux mondes, ils ont trouvé leur rythme, leur tempo, leur projet. Une cuisine honnête, une gestion rigoureuse et une fidélité à des valeurs profondes. Jérôme, ancien chef de la haute gastronomie londonienne, s’est formé dans des établissements haut de gamme avant de revenir à l’essentiel. C’est sa rencontre avec Délia, en 2019 à Verbier, qui a cristallisé leur vision commune : créer ensemble un lieu à échelle humaine, sincère et ancré dans le territoire.
Une table locale, honnête et nourrie de sens
À Mauvoisin, on ne joue pas la carte du folklore ou de la performance. On sert des plats simples, soignés, nourris de sens. « Tout ce qu’on peut faire maison, on le fait », résume Jérôme. Pain pétri sur place, soupes cuisinées chaque matin, pâtisseries fraîches…l’été, il est secondé par Paul, chef pâtissier et ami de longue date rencontré à Londres, « avec qui on n’a même pas besoin de se parler pour se comprendre. » Et qui façonne desserts savoureux et tartes divines.








Le saumon et la truite fumée qui surprennent agréablement dans ces lieux sont suisses, tout comme les œufs, les lentilles ou le riz cultivé à Fribourg, qui compose notamment leur plat végétarien signature : le Koshari. « C’est une assiette 100 % suisse dont nous sommes fiers. » Cette volonté de travailler en lien avec les producteurs locaux, Jérôme l’a toujours portée, depuis son enfance jusqu’à ses débuts à Chicago et Londres. « Je suis heureux de pouvoir être honnête dans ma cuisine. Proposer une cuisine saine, de qualité, accessible à des prix modérés, avec aussi une option végétarienne, c’est devenu vital. » La carte des vins dénommée « alpins », traverse les Alpes comme un itinéraire amoureux : Valais, Tessin, Savoie, Grisons, Val d’Aoste. « On l’appelle notre carte alpine. Ça raconte une géographie du goût. » Ici, pas de fausse rusticité, mais une élégance discrète, fidèle au lieu.
L’hiver, une coupe à la main sur la glace de Verbier



L’hiver, direction Verbier. Sur la patinoire, leur food truck lancé en 2022 devient le cœur d’un micro-monde chaleureux, où se croisent locaux, saisonniers et familles. « Les enfants patinent, les parents les regardent avec une coupe de champagne», sourit Jérôme. Burger de viande race d’Hérens, ketuchup et mayo de production 100% suisse, plats végétariens à l’emporter, le tout servi dans une ambiance détendue, mais avec les mêmes exigences qu’en cuisine traditionnelle. Délia s’occupe également des locations de patins. « Ça me plaît ! » Elle apprécie aussi ce contraste entre les deux lieux qu’ils animent : Verbier, en hiver, avec son food truck, sa patinoire, ses familles, ses flûtes de champagne. Et Mauvoisin, l’été, plus rude, plus calme, plus enraciné. Deux bébés, comme elle les appelle. « Très différents, mais complémentaires. »
De Chicago à Verbier : le parcours d’un globe-cuisinier
Difficile d’imaginer, en croisant Jérôme derrière ses fourneaux valaisans, qu’il a passé plus d’une décennie dans certaines des cuisines les plus prestigieuses du monde. « J’ai commencé à Chicago, dans un petit restaurant avec un chef extraordinaire. J’ai fait une école de commerce à Genève et ai travaillé dans l’immobilier et la banque. Mais le costume-cravate, ce n’était pas pour moi », confie le Neuchâtelois d’origine qui a grandi à Genève. D’abord banquier privé, il plaque tout pour se lancer dans la cuisine. Direction Chicago, où il passe dix ans dans des établissements reconnus, dont certains étoilés Michelin. Jérôme s’y était rendu dans l’optique d’apprendre la diversité asiatique en cuisine que l’on ne trouvait pas en Suisse à l’époque. « Si tu dénichais un brin de citronnelle dans un plat, t’avais de la chance », se souvient-il, amusé. Mais c’est surtout sa rencontre avec Anton Mosimann qui va marquer un virage : « Anton, c’est le chef suisse de la famille royale. Le premier à avoir eu deux étoiles au Dorchester. C’est lui qui m’a dit : Viens travailler avec moi. ».
Le plus hipe de la capitale
Son aventure prend un tournant décisif lorsqu’il rejoint Londres. Il devient chef au restaurant Les Trois Garçons à Shoreditch, « l’endroit le plus hipe de la capitale dans les années 2000, fréquenté par les célébrités ». Là-bas, Madonna, Jimmy Choo, Les Rolling Stones, Tracy Emin, Gilbert & Georges, Kim Cattrall, Kate Moss…. venaient dîner. Jérôme passera sept ans aux côtés de Mosiman ( pionnier de la cuisine naturelle, sans beurre ni crème, une révolution à l’époque), à diriger les opérations d’un service traiteur aussi discret qu’élitiste. « On a fait le mariage de Kate et William, l’anniversaire de la reine, les ambassades… On a cuisiné aux JO, à Pékin, à Rio, à Vancouver… C’était fou, intense. Mais à un moment, j’ai eu besoin d’autre chose. » Après un détour par l’Écosse comme indépendant, il atterrit à Verbier. Pour 4 mois… « Je suis arrivé ici presque par hasard », raconte-t-il. D’abord pour aider un ami, en simple consultant sur une saison. Puis le Covid a bousculé les plans. Et quand la commune a cherché un repreneur pour l’hôtel de Mauvoisin, Jérôme n’a pas hésité.
Coup de foudre professionnel
C’est en 2019, à l’ancien Rosalp, devenu Vie & Montagne, puis 67 Pall Mall, que Jérôme rencontre Délia. Elle gérait la salle, lui la cuisine. Elle y avait commencé comme chef de rang, avant de devenir manager du restaurant en une année. « Je gérais les équipes, les plannings, les commandes, la salle… tout. Et ça me plaisait. » Le courant passe immédiatement. « On s’est compris tout de suite », dit-elle. « On partageait la même vision, les mêmes exigences. Il y avait une évidence. J’étais censée partir en voyage… je l’ai repoussé. Puis finalement, je suis restée. Trois saisons plus tard, on a lancé notre propre société. » Ils créent à deux un concept solide, où boissons et nourriture dialoguent avec soin et rigueur. Ce n’est pas un rêve de longue date pour Délia. « C’est la vie qui a offert cette opportunité. J’ai réfléchi, j’ai pesé le pour et le contre. Mais je me suis dit : j’y vais. J’ai 30 ans, j’ai de l’énergie, j’ai les valeurs, j’ai l’élan. »
Délia, racines valaisannes et précision suisse-alémanique
Délia est née de parents suisse-allemands, mais a grandi à Fully. Adolescente, elle passe du temps dans le restaurant de sa marraine, premier déclic. « C’est là que j’ai compris que j’aimais ce métier. » Sa mère, rigoureuse, l’encourage à se former sérieusement. Elle fait un apprentissage en restauration à Saas-Fee, puis une maturité professionnelle à Thoune. En 2018, elle débarque à Verbier. Serveuse, puis chef de rang, elle devient rapidement manager du restaurant. « J’adorais ce que je faisais. Et aujourd’hui, je ne saurais pas quoi faire d’autre. Tant que je ne suis pas aigrie, je continue. » D’autant plus qu’à Mauvoisin, elle a trouvé son petit coin de paradis : « Lorsque nous avons eu l’occasion de reprendre l’hôtel, nous avons sauté sur l’occasion, toutefois sans savoir à quel point nous allions l’aimer. » Là, elle gère la relation clientèle, les réservations, le site, les cartes. Elle parle suisse allemand, ce qui est un atout, car 50 % de la clientèle vient de Suisse alémanique. « Elle gère toute la partie hôtelière, les réservations, la clientèle, le design du site. Moi je suis sur les stocks, la cuisine, la compta. On est complémentaires », résume Jérôme qui tout comme Délia adore le lieu, son énergie. « Je ne connaissais pas Mauvoisin avant. Mais j’ai tout de suite ressenti quelque chose ici. Si c’était à refaire, je resignerais les yeux fermés. »
Mauvoisin, une histoire, une mémoire
À Mauvoisin, on ne dort pas dans une cabane. « On a investi dans des vrais draps, une blanchisserie professionnelle, de l’eau chaude à volonté. C’est simple, mais c’est propre, confortable, soigné. » Les randonneurs s’y arrêtent après des heures de marche. Les familles reviennent. Les locaux, eux, s’y sentent un peu chez eux. « On offre 20 % aux gens du coin. Et on a beaucoup de guides, de familles fidèles. On n’est pas un hôtel de luxe, mais on est un hôtel de qualité. »



L’hôtel de Mauvoisin, appartenant à la commune, n’est en effet pas un lieu comme les autres. Bâtiment chargé d’histoire, symbole de l’épopée du barrage et de l’histoire du Val de Bagnes, il est un endroit de prédilection pour les gens du coin : « Chaque famille ici a une anecdote avec ce lieu », explique Délia. À leur arrivée, les locaux sont d’ailleurs venus les observer, les jauger. « Ils venaient voir qui étaient les nouveaux, s’ils allaient être dignes de l’endroit. Et ils nous ont adoptés. C’était touchant. »
Grâce à la complémentarité du food truck, ils réussissent à équilibrer les finances, car « tenir un hôtel de montagne ce n’est pas toujours simple, même si pour Jérôme, c’est un véritable coin de paradis.« J’ai vécu dans les grandes villes toute ma vie. Ici, je suis bien. Je suis derrière mon fourneau, je cuisine avec ce que j’aime, dans un cadre incroyable. Et c’est la vie que j’ai choisie. »
Romy Moret