À Chanrion, Sophie et Nuno poursuivent leur projet de vie

Au fond du Haut Val de Bagnes, après avoir franchi le barrage de Mauvoisin, la cabane de Chanrion se niche dans un paysage préservé, sauvage, loin des routes et du bruit. C’est ici que Sophie Martin et Nuno Neves ont posé leurs sacs pour devenir gardiens. Après une première saison d’hiver réussie, ils abordent l’été avec un projet construit, une organisation solide et une forte capacité d’adaptation, acquise au fil de leurs expériences.

Des parcours complémentaires, un virage commun

Sophie et Nuno n’ont pas grandi dans le monde de la montagne, mais chacun a suivi un chemin jalonné d’apprentissages, de reconversions et de projets concrets. Sophie a d’abord fait un CFC d’employée de commerce, avant d’obtenir un brevet fédéral en marketing. Elle travaille ensuite dans la promotion et l’événementiel, jusqu’au moment où un voyage sac au dos marque une rupture. À 25 ans, elle part une année avec Nuno en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est. Ce voyage est déterminant : elle décide de changer de voie. À son retour, elle effectue un stage en pâtisserie qui confirme son choix. Elle part se former en France, où les reconversions professionnelles sont facilitées. Elle passe un CAP en un an, puis travaille dans plusieurs établissements, notamment chez Christophe Ackermann, aux Tuileries-de-Grandson, élu (meilleure boulangerie de Suisse) champion suisse au Swiss Bakery Trophy. Les horaires lourds et le rythme soutenu l’amènent à retourner un temps dans l’univers du bureau, mais dans une branche qui reste liée à la restauration. Elle travaille pour une entreprise de restaurants d’entreprise, ZFV, où elle gère la communication, les affiches, les sites web et participe ponctuellement à des événements ou à l’ouverture de nouveaux établissements. « J’ai pu combiner la com, la cuisine, le terrain. C’était très complet. » Elle garde de cette période une vision transversale du fonctionnement d’un établissement et une forte polyvalence.

Sophie et Nuno, le sourire des nouveaux gardiens et un nouveau logo pour la cabane de Chanrion. 

Une base technique solide

De son côté, Nuno, né à Lausanne de parents portugais, suit un parcours résolument technique. Il commence par un apprentissage de dessinateur en chauffage, puis poursuit avec l’école technique supérieure (ES) dans le domaine du génie climatique et de l’énergie du bâtiment. Il effectue également l’école d’officier en artillerie, avant de compléter son cursus avec un master en énergie et développement durable. En 2022, il fonde son entreprise, Opti Énergie, spécialisée dans l’optimisation des installations techniques. Son objectif : allier expertise énergétique et compétences en gestion d’entreprise. L’un des moteurs de cette création est aussi d’acquérir les bases nécessaires pour, un jour, gérer un établissement comme une cabane de montagne. « Créer cette structure, c’était aussi un moyen d’apprendre à gérer une entreprise. Ça faisait sens. »

Nuno et Sophie qui se connaissent depuis 23 ans ont forgé leurs expériences ensemble !

Expérimenter et se former sur le terrain

Leur premier contact avec le monde des cabanes survient en 2021, dans un contexte de crise sanitaire. Leur départ prévu pour le Canada tombe à l’eau. Ils n’ont plus d’appartement, plus d’emploi, mais apprennent que les cabanes suisses peinent à recruter. Ils postent une annonce sur le site du Club Alpin. Trois semaines plus tard, ils sont appelés à la cabane de Bertol. Ils montent à pied dans la neige, sont brièvement accompagnés par le CAS de Neuchâtel, puis se retrouvent seuls. Pendant 75 jours, ils assurent toutes les fonctions en proche collaboration avec le CAS. Une immersion directe, sans filet avec de magnifiques rencontres. « On a appris sur place. Et on a tout fait. » À leur retour, ils poursuivent cette logique d’apprentissage par la pratique. Ils passent deux mois à l’abbaye de Salaz, où ils participent aux vendanges, à la mise en bouteille, à la cuisine, aux événements. Puis ils vivent un hiver entier dans un village isolé du Haut-Valais. C’est à ce moment qu’ils passent tous deux la patente de restaurateur en Valais, indispensable pour la gestion d’une cabane.

Approfondir l’expérience

Sophie multiplie ensuite les expériences sur le terrain. Elle travaille deux saisons comme aide-gardienne à la cabane de Tracuit dans le Val d’Anniviers, avant de rejoindre la Buvette de Jaman, située au-dessous des Rochers-de-Naye. Chaque poste apporte un éclairage différent : gestion de grands flux, cuisine simple, accueil touristique, logistique d’altitude. Ces expériences confirment sa motivation et affinent leur vision commune du métier.

Trouver la bonne cabane

Pendant trois ans, ils prennent le temps. Ils analysent les annonces, rencontrent les clubs alpins, comparent les projets. Ils savent ce qu’ils cherchent : un lieu adapté à un engagement de long terme. En 2024, ils découvrent l’annonce pour Chanrion. Avant de postuler, ils réservent une nuit comme clients, découvrent les lieux, s’imprègnent de l’ambiance. Puis ils préparent un dossier complet, avec propositions concrètes à court et long terme…leur candidature est retenue.

Construire à leur manière

Dès la sélection, ils rencontrent d’autres gardiens, les acteurs locaux, les services communaux, les fournisseurs de la vallée. À leur arrivée, ils mettent en place une signalétique claire et choisissent leurs produits, organisent leur équipe, posent leurs repères. Leur carte met à l’honneur des produits locaux : fromages d’Étiez, salaisons de Bagnes, pain au levain fait sur place, café torréfié à Chamoson. Elle propose aussi des options végétariennes, des plats rapides et adaptés à la montagne. L’hiver leur a permis de tester, d’ajuster, de calibrer les quantités.

Une autonomie construite, un projet cohérent

Au fil des expériences, des rencontres et du soutien de nombreuses personnes de tous domaines, ils ont acquis une grande autonomie. Chacun a ses domaines de prédilection, mais tous deux peuvent assurer toutes les fonctions. Leur approche est rigoureuse, progressive et ancrée dans la réalité du terrain. « On est autonomes sur tous les postes. C’est une sécurité, mais aussi une liberté. » À Chanrion, ils construisent un projet à leur mesure : ancré, réfléchi, structuré, avec le souci du détail et de l’accueil. Une cabane, oui. Mais surtout un projet de vie, patiemment construit à deux.

Romy Moret

https://www.chanrion.ch

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