À l’écoute des gardiens de la Terre

Le 25 août dernier, dans la lumière d’un magnifique coucher de soleil, la cabane Brunet s’est transformée en cercle de parole. Des voix venues du Brésil, du Bénin et de Colombie ont résonné face aux glaciers, en réponse à une question silencieuse : comment habiter la Terre sans la blesser ?

Vanessa Rueber pour la marque Patagonia et Ludo May ambassadeur de Verbier Tourisme entourent Chef Ninawa Huni Kui

Venus du Brésil, du Mexique, du Bénin et de Colombie, des leaders spirituels de peuples premiers ont répondu à l’invitation de l’Association Nice Future le 25 août dernier. L’événement organisé conjointement avec la marque Patagonia et Verbier Tourisme proposaient à ces figures sacrées de transmettre un message fort à la cinquantaine de personnes réunies dans cet écrin alpin idyllique. Les « sages » ont chacun à leur tour exprimé leur lien profond avec la nature, cette connexion profonde qu’ils entretiennent avec la planète et qu’il est urgent de renforcer. L’objectif étant pour eux de faire prendre conscience au plus grand nombre de la situation actuelle de cette « terre qui souffre »…  Intitulé Des forêts primaires aux Alpes : voix des gardiens menacés, la soirée s’est ouverte par quelques mots de Ludo May, ambassadeur local et amoureux des montagnes. Le géomorphologue Christophe Lambiel a ensuite présenté l’état des lieux des glaciers valaisans, perdant jusqu’à 5 mètres d’épaisseur en un seul été. Ce sont ensuite les paroles des trois intervenants venus de loin qui ont suspendu le temps…

Trois leaders spirituels sont venus transmettre leur message dans le décor splendide de la cabane Brunet.
De gauche à droite sur la photo : Sa Majesté Akoyi Atawé Oussou Lio, prince du peuple Tolinou au Bénin, Narciso, messager du peuple Kogis originaire des montagnes de la Sierra Nevada de Santa Marta en Colombie et le cacique Ninawa, leader spirituel du peuple Huni Kui au Brésil.

Ninawa Huni Kui (Brésil) : « C’est un appel que la Mère Terre fait pour nous »

Chef Ninawa Huni Kui, leader spirituel du peuple Huni Kui, a ouvert la parole avec une gravité tranquille. Il a décrit une Amazonie traversée par des bouleversements profonds : contamination de l’eau, feux, inondations, tempêtes…des phénomènes qu’il n’avait jamais vus enfant et qui s’intensifient. Il a rappelé qu’une étude, déjà ancienne, démontrait que 80 % de l’eau de l’Amazonie était contaminée. Ces événements ne sont pas, pour lui, des fatalités : ils sont porteurs de sens. « Ces impacts, nous les recevons comme un message de la nature… une façon de se manifester pour attirer l’attention. » Face à cela, il appelle à une élévation de conscience, individuelle et collective : « Il est encore temps d’élever notre pensée, notre conscience, pour que les choses changent. » Il a insisté sur la place des savoirs traditionnels et spirituels dans cette transformation. Il a parlé de spiritualité incarnée, de chants, d’artisanat, de pratiques vivantes. « Nous utilisons encore nos médecines sacrées. Nous vivons en pratique l’espiritualité. » Enfin, il a souligné que sa venue en Suisse s’inscrit dans un engagement profond et non dans un simple échange culturel : « Nous ne sommes pas ici pour les vacances. Nous sommes venus pour défendre quelque chose de si précieux. »

Appolinaire Oussou Lio (Bénin) : « Chaque jour, il y a une forêt sacrée qui est détruite »

Le prince du peuple Tolinou au Bénin a pris la parole avec fermeté. Son discours est une mémoire vivante : celle d’un monde où la forêt était école, pharmacie, lieu de prière. « La forêt était notre pharmacie, notre garde-manger, notre école. » Il l’appelle « Kassakri, l’école patrimoniale ». Il a décrit avec clarté l’effacement progressif de ces savoirs. « On a tourné les yeux vers ces forêts pour les détruire. Et nous sommes en train de nous autodétruire. » Chez lui, chaque famille est liée à un arbre totem qu’il est interdit de couper. Dans sa communauté, un seul médecin pour 130’000 habitants : la médecine traditionnelle est une nécessité vitale. Et pourtant, elle disparaît. « Les seuls lieux où l’on a conservé encore quelques plantes médicinales, ce sont les forêts sacrées. » Pour agir, Appolinaire mise sur la régénération. « Il ne suffit pas de crier au feu. Il faut agir. » Son message est un appel à la préservation des savoirs et à la transmission vivante entre les générations : « Une plante qu’on ne connaît pas, on ne peut pas la protéger. Une forêt qu’on ne comprend pas, on ne peut pas l’aimer. »

Narciso, représentant du peuple Kogi (Sierra Nevada, Colombie) : « Ce sont nos ancêtres, ce ne sont pas que des roches »

Dernier à prendre la parole, Narciso, du peuple Kogui, s’est exprimé avec calme et fermeté. Ses mots sont pesés, son ton mesuré, mais le message est clair. Il parle depuis les hauteurs de la Sierra Nevada de Santa Marta, un territoire sacré, considéré comme le cœur du monde. Là-haut, les montagnes ne sont pas des paysages : elles sont vivantes, porteuses d’une mémoire ancienne. « Ce sont nos ancêtres. » Il a raconté les jours de marche nécessaires pour rejoindre le Páramo, cette zone d’altitude, source des rivières. Il a décrit un monde où tout geste est porteur de sens. « On ne peut pas y entrer avec des chaussures, ni avec des téléphones. Rien. Si je prends quelque chose, je dois rendre à la Terre-Mère. » Cette sobriété n’est pas une pauvreté, c’est une règle de respect. Il a évoqué un territoire sans électricité, sans machines, où l’on vit uniquement de ce que la nature offre. « On mange ce qui est là. Et ça, ça s’appelle la conservation. » Mais il s’interroge : que signifie « conserver »  pour les sociétés modernes ? « On fabrique notre propre contamination ». Il a dénoncé les grands discours occidentaux sur la « protection de l’environnement » qui, trop souvent, excluent les peuples qui vivent en lien direct avec lui. « Est-ce que c’est vraiment ça, la conservation ? »

Pour Narciso, les montagnes ne sont pas des paysages. Elles sont mémoire, présence, guide. « Ce sont nos ancêtres. Ils ont été créés bien avant que nous existions. » Il a conclu, sans détour : « Si on finit le 50 % qui reste, qu’est-ce que cette planète va devenir ? » 

NiceFuture, 23 ans de tissage avec le Vivant

Créée en 2002 par Barbara Steudler et Vincent Girardin, NiceFuture est une association suisse pionnière dans le dialogue entre écologie, cultures et conscience. Pendant plus d’une décennie, elle a été à l’origine d’événements phares tels que le Festival de la Terre, le G21 Swisstainability Forum ou encore les Slow Design & Fashion Days.

Depuis 2015, NiceFuture s’est tournée vers les Peuples Premiers, avec qui elle tisse des alliances durables. Son engagement prend la forme d’actions concrètes, reforestation, sauvegarde de forêts sacrées, développement de pépinières, soutien à l’agriculture traditionnelle, mais aussi de rencontres spirituelles et culturelles de portée internationale. En 2023, l’association a coordonné une rencontre inédite avec le Dalaï Lama, réunissant des représentants d’Amazonie, d’Afrique et d’Asie.

Lancée en 2024, l’initiative « Les Gardiens de la Terre » incarne une nouvelle étape : celle d’un mouvement global en faveur de la régénération de nos liens à la Terre, porté par la parole des peuples racines et l’élan d’une conscience collective. Comme le résume NiceFuture : « Non pas une écologie de surface, mais une durabilité forte, une écologie de l’âme, un engagement de conscience. »

Barbara Steudler, amoureuse inconditionnelle de la terre

Ayant passé toute son enfance dans le Val de bagnes, son papa ayant rénové un mayen d’alpage, Barbara Steudler a un parcours dans l’écologie depuis trente ans, avec la mise sur pied de beaux de projet et gros événements tels que festivals ou forums ( lire encadré) . Elle a porté ses convictions avec beaucoup d’engagement jusqu’à une rencontre absolument primordiale il y a de cela dix ans, qui lui a permis d’aller plus loin dans sa prise de conscience :  « Un leader d’un peuple d’Amazonie a toqué à ma porte , en demandant de l’aide. J’ai compris alors que cela ne servait à rien de s’occuper d’écologie si l’on n’oeuvre pas en lien avec les derniers gardiens de la Terre. » Tout un processus se met alors en mouvement afin de pouvoir rentrer dans leurs univers respectifs : «  Je suis allée à leur rencontre : ce qui m’a touchée et fait vibrer de manière extrêmement puissante est leur connaissance et leur conscience du vivant. Ici nous avons passé 2000 ans explorer et transformer la matière, à développer des technologies extraordinaires , en revanche eux ont passé ces années voir plus à étudier le vivant. Leur regard est beaucoup plus sage et évolué , ce qui nous permet d’apprendre beaucoup d’eux, pour comprendre comment se comporter et se positionner face aux défis auxquels nous sommes confrontés en matière de soins à prodiguer à la planète. Cela est primordial afin de pouvoir continuer à vivre en harmonie et transmettre du beau aux générations futures.

Romy Moret

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https://www.terredesagesses.ch

https://www.terresdesagesses.ch/soiree-en-haute-montagne-avec-les-gardiens-de-la-terre-cabane-brunet-25-aout-2025/

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